Une impression tout d'abord sur l'état de l'opinion : la stagnation des petits candidats donne une impression de sérieux. Nous n'allons pas vers un premier tour "défouloir", où chaque électeur est avant tout soucieux d'exprimer son originalité, de mettre en avant la marge critique qui le sépare des autres.
Ensuite, la répartition entre les cinq candidats qui se dégagent : si on additionne les intentions de vote de François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Bayrou, on constate que presque 70 % des Français sont d'accord pour considérer que l'impératif de réduction de la dette doit être accepté.
Si on additionne les voix de Jean-Luc Mélanchon et de Marine Le Pen, et de quelques petits candidats, on arrive à environ 30 % des Français qui considèrent que le système, et l'ancrage européen actuel de la France, doivent être remis en question.
Une nette majorité d'électeurs, pour l'instant du moins, savent donc que le prochain gouvernement devra prendre des mesures impopulaires, difficiles, courageuses. Il ne serait pas absurde, au moins en théorie, d'en conclure que l'union nationale serait possible pour assainir les finances publiques, et réorienter au moins partiellement l'investissement public vers la production.
Un homme prône depuis longtemps l'union nationale : François Bayrou. En 2002, c'est précisément cette politique, comme on l'a déjà rappelé dans ce blog, qu'il avait proposée à Jacques Chirac après la victoire de celui-ci. Mais s'il la prône, il n'en apparaît pas comme le possible metteur en oeuvre : c'est le plafond de verre auquel il se heurte, aujourd'hui comme en 2007.
L'union nationale a existé dans notre pays, où plusieurs gouvernements ont tenté de s'affranchir de la frontière entre droite et gauche. Je laisse de côté l'union sacrée de 1914, liée à la guerre. Mais Raymond Poincaré en 1926, face à la crise du franc, Pierre Mendès-France en 1954, face à une situation désastreuse en Indochine, l'ont pratiquée. Cependant, c'était les deux fois dans le cadre d'un régime parlementaire, où l'on pouvait former une alliance de circonstance, sans la présenter au préalable aux électeurs.
Le rêve de Charles de Gaulle, en 1958, a été d'incarner ce rassemblement. Mais les socialistes ne l'ont pas soutenu longtemps, et le MRP l'a laissé choir en 1962, à la suite d'un désaccord avec sa politique européenne.
Il a cru alors retremper la légitimité du président de la République en en faisant un élu du suffrage universel. Mais c'est précisément cette élection, clivante, bipolarisante, qui rend impossible l'union nationale. De ce point de vue, notre régime est sans souplesse. La gauche n'a pu gagner la présidentielle, en 1981, que grâce à l'Union de la gauche. En 2007, Nicolas Sarkozy a construit son succès en fédérant les différentes sensibilités de la droite.
Le futur élu et son gouvernement pourront donc compter sur le fait qu'une majorité de citoyens accepte la perspective de mesures peu agréables, si on peut les convaincre de leur nécessité et de leur légitimité en terme de justice. Par contre, ils seront livrés à la critique rongeuse d'une opposition d'autant moins complaisante qu'elle attendra avec impatience les élections intermédiaires.
En attendant, les deux principaux candidats sont conduits à parler de la réalité, qui est la même pour tous, de la France, qui ne rassemble pas seulement leurs partisans, et de tenir en même temps un discours clivant pour se préparer au premier tour.
Le vainqueur ne pourra pas tendre la main à l'autre camp. En 1988 comme en 2007, l'ouverture a été perçue comme une volonté non pas de travailler avec l'autre moitié de l'échiquier politique, mais comme une manœuvre destinée à achever l'adversaire à terre.
Privé de la facilité d'augmenter l'endettement, le futur président de la République ne pourra donc pas partager le fardeau de la charge du pays. Sa seule marge de manoeuvre viendra du temporaire désarroi des vaincus.