jeudi 22 mars 2012

Petite vision de campagne...

Jean-Luc Mélenchon monte vraiment dans les sondages, maintenant ; Nicolas Sarkozy continue son rattrapage. Je ne crois pas que l’épouvantable affaire de Toulouse change la donne en profondeur, mais elle risque d’accentuer des tendances déjà perceptibles.

Nicolas Sarkozy confirme sa posture présidentielle, tous l’ont dit. François Hollande reste dans la prudence et dans la dignité – mais sa position de favori est un peu périlleuse : s’il descend dans l’arène, il perd son côté fédérateur, s’il n’y descend pas, ses adversaires peuvent affirmer (ce qui est sans doute faux) qu’il se voit déjà élu.

François Bayrou reste sur une posture limite : critique du discours ambiant, il a paru lier l’horreur de Toulouse et la stratégie de campagne clivante de Nicolas Sarkozy, ce qui a paru indigne. Marine Le Pen peut utiliser l’affaire de manière « soft », en restant sur ses axes de campagne. Aucun des deux ne me paraît (je me trompe peut-être) en mesure de retirer un bénéfice substantiel.

Jean-Luc Mélenchon n’a pas de raison de modifier ses propres axes de campagne : des faiseurs d’amalgame peu scrupuleux pourraient attaquer ses positions sur l’immigration. Mais les sarkozystes n’ont pas intérêt à le faire, puisque sa montée peut gêner François Hollande. [modification de dernière minute : le directeur de campagne de Marine Le Pen vient de le faire sur Europe, le matin du 23 mars à 7h45, alors que Mohamed Merah est né en France.]

Le président sortant poursuit une stratégie activiste, qui à mes yeux (mais est-ce le cas pour son électorat potentiel ?) met en relief un des défauts structurels de son quinquennat : annoncer des mesures générales à propos d’un cas particulier, préférer les décisions spectaculaires au souci du bon fonctionnement de ce qui existe – et qui souvent suffirait.

J’ai bien du mal à prévoir ce qui nous attend dans les prochaines semaines ; cette incertitude même a pris la forme d’une image :

Nous sommes sur un terrain plat. François Hollande a beaucoup d’avance, mais il trottine paisiblement, parce qu’il veut conserver des forces pour après la ligne d’arrivée. Garder, en fait, des marges de manœuvre pour la tâche difficile qui l’attend. Il continue la course de fond qu’il mène depuis de longs mois. La ligne d’arrivée est en vue, mais il reste plusieurs centaines de mètres à parcourir.

Il risque pourtant d’être pris dans une sorte d’étau. Deux forces convergentes cherchent à lui couper la route, l’une partie de sa gauche, l’autre de sa droite. Jean-Luc Mélenchon pourrait finir par saisir le bas de sa veste, et le ralentir. Nicolas Sarkozy lui passer devant in extremis.
Il faudrait, comme dans un problème de mathématique, tenir compte des angles, des vitesses. Il faudrait même, comme dans un problème de physique sadique, tenir compte des accidents du terrain, qui n’est peut-être pas si plat qu’il n’y paraît.

L’avance est peut-être suffisante…

mardi 6 mars 2012

Churchill et le volontarisme politique


Dans une libraire d’Edimbourg, je suis tombé sur une brève biographie de Churchil (Christopher Catherwood, His Finest Hour, London, Constable & Robinson Ltd, 2009), un personnage qui me fascine, comme il en fascine beaucoup d’autres, depuis longtemps. Je l’ai achetée par gourmandise, mais elle s’est révélée plus nourrissante que prévue.

Au fur et à mesure de ma lecture, je réfléchissais en parallèle sur une manière de prendre, d’écrire, de ressentir l’histoire dont nous avons beaucoup à apprendre et sur ce qui fait un « grand » politique à l’âge démocratique.

Les vieux mots ont parfois du bon : c’est une histoire sans cuistrerie. Ni souci d’être à tout prix original, ni peur de réexaminer de vieux problèmes, un souci continu d’élargir le point de vue, et surtout une discussion paisible des travaux des autres : ce qu’ils apportent, les points où le jugement de l’auteur diffèrent de ceux des autres sereinement exposés. Une narration pittoresque, concrète, humaine, entrecoupée d’une discussion courtoise. On a le sentiment d’être au coin du feu, en train de siroter un bon cognac, en évoquant des épisodes marquants et en discutant sereinement, dans un pluralisme assumé. C’est une histoire pleine de tact, où s’équilibrent admiration et critique, sympathie et distance. Une histoire rigoureuse, informée, mais délivrée du prurit de la course perdue d’avance avec les sciences exactes, une vraie discipline de culture, de formation personnelle, de réflexion méditative. Reflet aussi, je crois d’un enseignement universitaire qui donne toute sa place à l’échange et à la discussion.

Mais venons à Churchill : l’auteur nuance la thèse selon laquelle la vie publique de Winston Churchill, jusqu’à ce qu’il incarne l’héroïque résistance de l’Angleterre isolée face à l’Allemagne hiltlérienne, en 1940-1941, n’aurait été qu’une longue suite d’échecs. Il montre le soldat journaliste d’avant 1914, l’historien, le rejeton de l’aristocratie britannique, fils d’un homme tôt disparu dont la brève carrière politique a été brisée par une démission inopportune. Un homme résolu et indépendant, conservateur partisan du libre-échange, passant par le parti libéral, puis à nouveau conservateur en 1924, participant au grand cabinet dominé par Lloyd George avant la Première guerre mondiale.

Son intelligence hors de pair ne l’empêche pas – et cela est rassurant – de partager les erreurs de son milieu et de son temps. Ainsi quand, au milieu des années 1920, il rétablit la convertibilité-or de la livre, mesure dénoncée par Keynes.

Son originalité, sa capacité à défendre des vues minoritaires n’est pas toujours, contrairement à ce que l’on croit souvent dans la politique française, non plus la garantie du succès. Cet homme volontaire commet de grandes erreurs, aux conséquences parfois dramatique, et il est heureux qu’elles ne soient pas masquées dans une biographie qui, globalement, met en relief sa grandeur. La désastreuse initiative de l’offensive des Dardanelles, qui faillit briser sa carrière durant la Grande Guerre, l’opposition farouche de ce patriote intransigeant à tout évolution en Inde dans les années 1930, l’inutile, meurtrier et injustifiable bombardement de Dresde pendant la Seconde guerre mondiale. Christophe Catherwood, suivant le cheminement de la pensée de Churchill, montre admirablement à quel point, en politique, les fautes sont souvent aussi pensées, aussi délibérées,aussi « calculées » - et même parfois plus – que les succès.

Ancré dans la réalité britannique, d’une densité intellectuelle et culturelle considérable, original, obstiné, Churchill ne rencontre pas toujours une lucidité politique dont personne, décidément, n’a le monopole. Les erreurs d’un grand esprit, d’un grand politique sont bien les plus instructives. Ma is quand son analyse est juste, toutes ses qualités humaines jouent à plein : face à la montée d’Hitler dans les années 1930, face aux conséquences de la remilitarisation allemande de la Rhénanie en 1936, des accords de Munich, et quand il s’agit de catalyser les énergies du Royaume-Uni à l’heure du péril. Enfin, Churchill, américain par sa mère, perçoit avant bien de ses contemporains le rôle majeur des États-Unis et l’appui que ceux-ci peuvent représenter.

Il ne manque pas même à cette existence heureuse d’un grand dépressif, dont témoigne la publication récente, par sa fille, des lettres échangées avec son épouse, une dimension dramatique : cet amoureux de la grandeur britannique vécut la marginalisation relative du Royaume-Uni après 1945, qui ne parvient plus à peser dans les affaires du monde. Homme résolu, Churchill était comme condamné à mesurer les limites à long terme d’un volontarisme politique décisif dans le court terme.