Le vote du Parlement britannique sonne le glas des projets syriens de David Cameron.
Il nous rappelle d'abord ce qu'est un vrai régime parlementaire, où la politique étrangère elle-même est l'objet de véritables débats. Nous nous rapprochons, en France, progressivement de ce modèle. La réforme constitutionnelle de 2008 prévoit que le gouvernement, quand il engage une intervention militaire, doit en informer le Parlement dans les trois jours. Un premier débat peut être organisé, mais il ne donne pas lieu à un vote. Ce vote est par contre obligatoire au bout de 4 mois d'intervention.
Cependant, le contraste demeure fort entre le consensus hâtivement construit en France et la rapide implication du Parlement britannique.
Ensuite, il est clair que malgré son soutien traditionnel à la politique extérieure américaine, la classe politique britannique, y compris chez les conservateurs, a été échaudée par l'affaire irakienne de 2003. Il est vrai que quand on entendait hier le gouvernement américain expliquer qu'il fournirait les preuves de l'utilisation d'armes chimiques, cela rappelait de sinistres souvenirs.
Historiquement, d'ailleurs, la situation est inédite : la France se retrouve plus proche des positions américaines que le Royaume-Uni.
Enfin, on note le retour de l'unilatéralisme américain : Barak Obama était prêt à se passer de l'ONU, et il est prêt à se passer de l'allié britannique, dont l'appui avait pourtant était très recherché en 2003. Cela rend rétrospectivement surréaliste, pour ne pas dire ridicule, l'octroi du Prix Nobel de la paix au président américain au lendemain de sa première élection.
Il faut rappeler que, contrairement à ce qu'on croit souvent, l'unilatéralisme américain n'et pas une invention des Républicains ni de George W. Bush : il est issu du tournant de 1994.
L'intervention onusienne en Somalie avait alors mal tourné, le spectacle de cadavres de soldats américains traînés par des émeutiers devant les caméras avait traumatisé l'opinion. L'administration Clinton avait alors décidé que les USA devaient retrouver une autonomie vis-à-vis de l'ONU, pour s'abstenir ou pour intervenir sur des théâtres d'opération extérieurs.
Il est donc logique que la rupture avec l'unilatéralisme soit moins complète qu'espéré.
L'histoire de ces vingt dernières années pèse lourd dans cette affaire. La Syrie n'est pas le Mali, et on attend de Laurent Fabius, homme d'expérience, une clarification de la position française.
jeudi 29 août 2013
Considérations à chaud sur le vote britannique
Mots-Clés :
Irak,
Obama,
régime parlementaire,
Somalie,
Syrie,
unilatéralisme
mercredi 14 août 2013
Méditation bretonne sur les fractures françaises
J'aime bien tout ce
qui affleure de notre histoire nationale, de ses tensions internes
qui trouvent aujourd'hui leur prolongement. Ce qui se révèle au fil
de la moindre promenade, pour peu que l'on prenne le temps
d'observer.
Ce matin, mon fils
m'a réveillé tôt, et c'est derrière une poussette que je marche
vers le centre historique de Vannes. Nous passons devant la prison,
dont deux grands corps de bâtiments sont aujourd'hui abandonnés.
L'effet est sinistre, jour jeté sur les à-côtés de la grande
histoire, sur toutes ces histoires particulières qui s'échouent,
sur cet envers de tous les ordres sociaux. Les Lumières et l'époque
romantique se sont passionnées pour le problème des prisons, et,
depuis la vague de contestation globale de l'univers carcéral de la
fin des années 1960 et des années 1970, il s'en faut de beaucoup
pour que ces problèmes très concrets et très inconfortables
passionnent autant le milieu intellectuel contemporain (dont je ne
m'excepte pas).
Peu de temps après,
nous passons, mon fils endormi et moi, devant le collège Jules
Simon. La devise inscrite au fronton de ce collège public attire
l'oeil : « Dieu, patrie, liberté ».
Grand personnage
des débuts de la Troisième République, républicain spiritualiste,
disciple en philosophie de Victor Cousin, Jules Simon avait obtenu
l'inscription des « devoirs envers Dieu » dans les
programmes scolaires de l'instruction morale et civique.
Il s'agissait du
Dieu des philosophes, celui présent dans la première édition du
Tour de France par deux enfants, d'un Dieu qui pouvait être celui de
Voltaire, de Rousseau, de Kant, l'Être Suprême de Robespierre,
mais qui pouvait aussi rassurer les catholiques s'ils n'y regardaient
pas de trop près.
Cette devise, c'est
le reste d'une tentative, celle d'une laïcité spiritualiste qui
rêvait de conciliation.
Depuis l'échec de cette tentative,
la laïcité reste en tension entre conciliation et affrontement. Que
penserait Jules Simon d'un projet autoritaire d'interdiction du
foulard islamique à l'Université ? Il y verrait sans doute la
conséquence logique de son échec, mais peut-être aurait-il la
finesse de ne pas mettre dans le même sac ses anciens adversaires
républicains, et suivrait-il avec intérêt l'actuel débat sur
cette question, qui oppose les tenants de la ligne Combes et ceux de
la ligne Ferry, les autoritaires et les libéraux.
Devant le collège,
sur la grille, une plaque d'hommage à Jules Simon posé par
l'association bretonne-angevine. Le terme m'intrigue – j'apprendrai
plus tard qu'il s'agit d'une association républicaine et
libre-penseuse, qui se réclame de l'héritage de la fédération
bretonne-angevine de 1790. Le grand mouvement qui a culminé au 14
juillet 1790 dans la Fête de la Fédération, sur le Champ-de-Mars,
est en effet parti des provinces. C'est au républicain Jules Simon qu'on rend
ici hommage.
Vannes, ville bleue
en pays blanc, comme tant d'autres dans l'Ouest. S'y juxtaposent
références républicaines et héritage de la chouannerie. Les deux
France s'entremêlent ici. Face au rempart, dans un parc au centre
duquel se trouve le monument aux morts de 1914-1918, et où les combattants des guerres et expéditions françaises sont honorés, sur un vieux
mur, une plaque : ici ont été fusillés les prisonniers de
l'infortuné débarquement de Quiberon, sorte de baroud d'honneur de
l'émigration. On voit encore, dans la vieille ville, la maison où
fut arrêté le prêtre réfractaire Pierre-René Rogue, jugé et
exécuté en 1796.
Il est tôt encore,
les touristes sont rares dans les quartiers anciens comme autour des
remparts. Les camionnettes qui ravitaillent les boutiques se vident,
les employés s'acheminent vers leurs bureaux, les petits cafés se
prennent en terrasse. Qui parmi ces gens est croyant, qui ne l'est
pas ? Qui vote à droite, à gauche, au centre ? Cela ne se
voit guère aujourd'hui ; nos désaccords peuvent être
spectaculaires, ils ne sont plus des déchirements, et la « majorité
silencieuse » est finalement peu touchée par leurs prolongements
dans les France militantes. Mon petit bonhomme qui s'accorde un
supplément de sommeil, que verras-tu sortir de cette France apaisée
et peut-être un peu ensommeillée elle-même ?
Il reste pourtant
bien des fractures à réparer. Près des remparts, une plaque
rappelle que c'est à Vannes que fut scellée l'union de la Bretagne
et de la France. Elle est bilingue, en breton et en français.
J'entends déjà mes amis souverainistes... À Rennes, en 1932, un
groupe autonomiste pulvérisa le monument qui rappelait l'événement
et représentait Anne de Bretagne à genoux devant François Ier. Je
m'arrête devant cette plaque bilingue. Elle est peut-être une
solution. Depuis trente ans (eh oui) que je m'intéresse à la
politique, après quelques années d'initiation radicale et
d'incursion dans les constellations révolutionnaire et
conservatrice, je n'ai rien trouvé de mieux que la perspective
d'associer la nation, l'Europe et la région. C'est autour de cela
que nous tournons, même si c'est souvent de manière peu claire.
La lumière
réchauffe Vannes, le silence des morts se fait moins présent dans
la ville qui s'anime. Nous rentrons.
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