jeudi 29 août 2013

Considérations à chaud sur le vote britannique


Le vote du Parlement britannique sonne le glas des projets syriens de David Cameron.

Il nous rappelle d'abord ce qu'est un vrai régime parlementaire, où la politique étrangère elle-même est l'objet de véritables débats. Nous nous rapprochons, en France, progressivement de ce modèle. La réforme constitutionnelle de 2008 prévoit que le gouvernement, quand il engage une intervention militaire, doit en informer le Parlement dans les trois jours. Un premier débat peut être organisé, mais il ne donne pas lieu à un vote. Ce vote est par contre obligatoire au bout de 4 mois d'intervention.

Cependant, le contraste demeure fort entre le consensus hâtivement construit en France et la rapide implication du Parlement britannique.

Ensuite, il est clair que malgré son soutien traditionnel à la politique extérieure américaine, la classe politique britannique, y compris chez les conservateurs, a été échaudée par l'affaire irakienne de 2003. Il est vrai que quand on entendait hier le gouvernement américain expliquer qu'il fournirait les preuves de l'utilisation d'armes chimiques, cela rappelait de sinistres souvenirs.

Historiquement, d'ailleurs, la situation est inédite : la France se retrouve plus proche des positions américaines que le Royaume-Uni.

Enfin, on note le retour de l'unilatéralisme américain : Barak Obama était prêt à se passer de l'ONU, et il est prêt à se passer de l'allié britannique, dont l'appui avait pourtant était très recherché en 2003. Cela rend rétrospectivement surréaliste, pour ne pas dire ridicule, l'octroi du Prix Nobel de la paix au président américain au lendemain de sa première élection.

Il faut rappeler que, contrairement à ce qu'on croit souvent, l'unilatéralisme américain n'et pas une invention des Républicains ni de George W. Bush : il est issu du tournant de 1994.

L'intervention onusienne en Somalie avait alors mal tourné, le spectacle de cadavres de soldats américains traînés par des émeutiers devant les caméras avait traumatisé l'opinion. L'administration Clinton avait alors décidé que les USA devaient retrouver une autonomie vis-à-vis de l'ONU, pour s'abstenir ou pour intervenir sur des théâtres d'opération extérieurs.

Il est donc logique que la rupture avec l'unilatéralisme soit moins complète qu'espéré.

L'histoire de ces vingt dernières années pèse lourd dans cette affaire. La Syrie n'est pas le Mali, et on attend de Laurent Fabius, homme d'expérience, une clarification de la position française.

mercredi 14 août 2013

Méditation bretonne sur les fractures françaises

J'aime bien tout ce qui affleure de notre histoire nationale, de ses tensions internes qui trouvent aujourd'hui leur prolongement. Ce qui se révèle au fil de la moindre promenade, pour peu que l'on prenne le temps d'observer.

Ce matin, mon fils m'a réveillé tôt, et c'est derrière une poussette que je marche vers le centre historique de Vannes. Nous passons devant la prison, dont deux grands corps de bâtiments sont aujourd'hui abandonnés. L'effet est sinistre, jour jeté sur les à-côtés de la grande histoire, sur toutes ces histoires particulières qui s'échouent, sur cet envers de tous les ordres sociaux. Les Lumières et l'époque romantique se sont passionnées pour le problème des prisons, et, depuis la vague de contestation globale de l'univers carcéral de la fin des années 1960 et des années 1970, il s'en faut de beaucoup pour que ces problèmes très concrets et très inconfortables passionnent autant le milieu intellectuel contemporain (dont je ne m'excepte pas).

Peu de temps après, nous passons, mon fils endormi et moi, devant le collège Jules Simon. La devise inscrite au fronton de ce collège public attire l'oeil : « Dieu, patrie, liberté ».

Grand personnage des débuts de la Troisième République, républicain spiritualiste, disciple en philosophie de Victor Cousin, Jules Simon avait obtenu l'inscription des « devoirs envers Dieu » dans les programmes scolaires de l'instruction morale et civique.

Il s'agissait du Dieu des philosophes, celui présent dans la première édition du Tour de France par deux enfants, d'un Dieu qui pouvait être celui de Voltaire, de Rousseau, de Kant, l'Être Suprême de Robespierre, mais qui pouvait aussi rassurer les catholiques s'ils n'y regardaient pas de trop près.
Cette devise, c'est le reste d'une tentative, celle d'une laïcité spiritualiste qui rêvait de conciliation.

Depuis l'échec de cette tentative, la laïcité reste en tension entre conciliation et affrontement. Que penserait Jules Simon d'un projet autoritaire d'interdiction du foulard islamique à l'Université ? Il y verrait sans doute la conséquence logique de son échec, mais peut-être aurait-il la finesse de ne pas mettre dans le même sac ses anciens adversaires républicains, et suivrait-il avec intérêt l'actuel débat sur cette question, qui oppose les tenants de la ligne Combes et ceux de la ligne Ferry, les autoritaires et les libéraux.

Devant le collège, sur la grille, une plaque d'hommage à Jules Simon posé par l'association bretonne-angevine. Le terme m'intrigue – j'apprendrai plus tard qu'il s'agit d'une association républicaine et libre-penseuse, qui se réclame de l'héritage de la fédération bretonne-angevine de 1790. Le grand mouvement qui a culminé au 14 juillet 1790 dans la Fête de la Fédération, sur le Champ-de-Mars, est en effet parti des provinces. C'est au républicain Jules Simon qu'on rend ici hommage.

Vannes, ville bleue en pays blanc, comme tant d'autres dans l'Ouest. S'y juxtaposent références républicaines et héritage de la chouannerie. Les deux France s'entremêlent ici. Face au rempart, dans un parc au centre duquel se trouve le monument aux morts de 1914-1918, et où les  combattants des guerres et expéditions françaises sont honorés, sur un vieux mur, une plaque : ici ont été fusillés les prisonniers de l'infortuné débarquement de Quiberon, sorte de baroud d'honneur de l'émigration. On voit encore, dans la vieille ville, la maison où fut arrêté le prêtre réfractaire Pierre-René Rogue, jugé et exécuté en 1796.

Il est tôt encore, les touristes sont rares dans les quartiers anciens comme autour des remparts. Les camionnettes qui ravitaillent les boutiques se vident, les employés s'acheminent vers leurs bureaux, les petits cafés se prennent en terrasse. Qui parmi ces gens est croyant, qui ne l'est pas ? Qui vote à droite, à gauche, au centre ? Cela ne se voit guère aujourd'hui ; nos désaccords peuvent être spectaculaires, ils ne sont plus des déchirements, et la « majorité silencieuse » est finalement peu touchée par leurs prolongements dans les France militantes. Mon petit bonhomme qui s'accorde un supplément de sommeil, que verras-tu sortir de cette France apaisée et peut-être un peu ensommeillée elle-même ?

Il reste pourtant bien des fractures à réparer. Près des remparts, une plaque rappelle que c'est à Vannes que fut scellée l'union de la Bretagne et de la France. Elle est bilingue, en breton et en français. J'entends déjà mes amis souverainistes... À Rennes, en 1932, un groupe autonomiste pulvérisa le monument qui rappelait l'événement et représentait Anne de Bretagne à genoux devant François Ier. Je m'arrête devant cette plaque bilingue. Elle est peut-être une solution. Depuis trente ans (eh oui) que je m'intéresse à la politique, après quelques années d'initiation radicale et d'incursion dans les constellations révolutionnaire et conservatrice, je n'ai rien trouvé de mieux que la perspective d'associer la nation, l'Europe et la région. C'est autour de cela que nous tournons, même si c'est souvent de manière peu claire.

La lumière réchauffe Vannes, le silence des morts se fait moins présent dans la ville qui s'anime. Nous rentrons.